Bien que l’adage dise que la fortune sourit aux audacieux, en ce matin très pluvieux de la mi-octobre, peu y ont réellement cru. Le ciel se déversait sur la Riviera, vannes grandes ouvertes, comme si le lac devait être rempli à la hâte. Aussi, il fallait un féroce appétit d’espace pour se sortir de la quiétude de nos logements pour seulement mettre le nez dehors. Cependant, en approchant du relief jurassien, le ciel se dégageait largement, laissant percer un soleil lumineux sur les crêtes blanchies, apportant la promesse d’une belle journée. Le messager boiteux, si cher à nos aïeux, annonçait un hiver vif qui devrait réjouir les ours polaires, ce que semblent confirmer les bulletins météo de ces derniers jours, la neige ayant blanchit les reliefs jusqu’au niveau du chalet. Pour le reste, n’ayant pas consulté nos horoscopes respectifs, nous n’en savions rien encore.
Au sortir du train au Pont, la rive ensoleillée du lac de Joux se donnait des airs de port de pêche méditerranéen, avec ses barques colorées tirées sur la grève et son Pégase bondissant vers le ciel bleu. Il ne manquait que les joueurs de pétanque et les touristes sur les terrasses à l’ombre des platanes pour parfaire l’illusion. Et la température aussi, admettons-le. Tournant le dos au scintillement de l’onde, le chemin vers la Dent de Vaulion s’engage entre les austères maisons du petit village et gagne la forêt dans la pente derrière. Le feuillage est encore très vert, moucheté de quelques tâches brunes et jaunes. L’automne n’a pas encore marqué le paysage combier. A l’attaque du premier pâturage, juste derrière le village, on atteint les premières tâches de neige. Encore parsemées au début, elles recouvrent bientôt l’herbe, blanchissant la surface et donnant aux sapins alentours un décor de Noël. En quelques minutes, sur le sentier glissant réctiligne, on débouche sur la crête. Le sommet n’est plus qu’à quelques pas.
La vue sur la Vallée de Joux est toujours magnifique, chaque fois renouvelée, à l’image du Léman vu de Billens. Parfois écrasée de lumière, parfois sombre sous une lourde couverture nuageuse, aujourd’hui elle est lumineuse de la belle lumière automnale qui éclate dans le large espace azur, dans un encadrement de nuages gris et blancs. En bas, les deux lacs reflètent cette lumière blanche et vibrante, alors que les couleurs ternes des crêtes boisées sont adoucies par le saupoudrage neigeux. Le lieu est charmant, reposant autant pour le corps que pour l’esprit. Cependant, ni la légère brise, ni la couverture duveteuse n’encouragent à la flânerie. Romainmôtier est encore à bonne distance, il faut se hâter lentement.
Les précipitations abondantes de ces derniers jours ont ramolli le terrain, le rendant glissant, très glissant. Les pierres lisses, recouvertes d’un peu de terre, ou d’un peu de neige, nous amènent à rechercher le tracé le plus ferme, parfois sur la bordure herbeuse, tantôt sur le chemin. A peine avons-nous quitté la calotte sommitale, à quelques encablures du restaurant de la Dent, que zlipp, crac, aïe. La brève douleur, fulgurante et profonde, signale une une course terminée et une cheville brisée.
Dans la belle lumière de la neige ensoleillée, la randonnée prend une allure de retraite de Russie, en moins tragique cependant.
Commentaires récents