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La ligne du Lötschberg est bien connue de chacun ; elle relie Spiez à Brigue, puis s’en va vers le Sud jusqu’à Domodossola sur le versant italien du Simplon. Son tracé, essentiellement montagneux, emprunte le tunnel du Lötschberg sur plus de quatorze kilomètres. Du débouché du tunnel du Lötschberg, la ligne longe alors la montagne dans une longue rampe vers Brigue, franchissant une dizaine de tunnels à travers les crêtes des vallons, les ravins sur des viaducs de pierre aux piliers interminablement hauts et les gorges étroites sur des ponts de fer dignes de l’ingénieur Maurice Koechlin.

De Goppenstein à Brigue, un sentier de randonnée longe la ligne du BLS. De fait, il s’en éloigne souvent, monte pour franchir les secteurs de la ligne en tunnel, plonge au-dessous pour éviter les zones moins favorables ou passer une rivière, ou s’en va au fond de la gorge pour maintenir son tracé sur la ligne de la courbe de niveau, avant de revenir sur l’autre versant, jusqu’à retrouver la voie. C’est un jeu incessant. Il n’y a pas moins de quatorze tunnels et six torrents majeurs sur le tracé raccourci que nous avons choisi entre Hohteen et Eggerberg. Dans l’ensemble cependant, le dénivelé est plutôt faible, la pente est douce et les montées sont courtes, si bien que notre essoufflement n’est toujours que de très courte durée. Le sentier, parfois large, parfois plus étroit, est excellemment bien entretenu, fréquemment parcouru et rares sont les endroits inconfortables. Bien que vertigineux par endroits, des protections de câbles le sécurisent parfaitement le cheminement, et s’il faut néanmoins regarder où on pose son pied, le risque de chute est quasi inexistant  pour celui qui se comporte de manière prudente.

S’il est dit que cette randonnée peut se pratiquer toute l’année, c’est certainement en début d’automne qu’elle s’y prête le mieux, dans le ravissement des couleurs des arbres, les senteurs avivées par les fortes rosées, la lumière éblouissante et les ombres fortes, et bien sûr la température clémente en tout lieu. Plus tard, les feuilles sont tombées et le charme est un peu moindre. La température, nettement abaissée dans les zones d’ombres, reste agréable pour marcher mais se fait nettement plus inconfortable à l’arrêt.

Si les zones construites, plus ou moins denses, se succèdent dans la plaine plate du Rhône, sur le flanc que nous parcourrons, les villages et les constructions sont rares. Du départ de Hohteen, le chemin commence à descendre sous la voie, pendant un kilomètre environ, en direction des vignes et des cultures, avant de remonter vers la voie qu’elle croise à juste 1’000m d’altitude, au niveau de petits pâturages et de forêts éparses. Là, sur une petite terrasse herbeuse, jouxtant l’entrée d’un tunnel, avec juste quelques bancs et une petite buvette, un gros chat jaune affectueux se charge de l’accueil. On domine Rarogne et le hameau de Rarnerkumme, juste au virage de la route, dont le petit cimetière héberge depuis 1926 l’écrivain, poète et journaliste Rainer Maria Rilke, né à Prague en 1875, qui décéda à la clinique Valmont de Glion après avoir vécu la fin de sa vie dans la Tour Muzot à Veyras en Valais. Rilke est connu pour les Elégies de Duino, une suite d’élégies empreintes d’une mélancolie lumineuse, passant du sentiment du terrible à l’apaisement le plus radieux, ainsi que les Sonnets à Orphée (extrait):

Devance tout adieu, comme s’il se trouvait derrière toi, à l’instar de cet hiver qui va se terminer. Car entre les hivers, il est un tel hiver sans fin qu’être au-delà de lui, c’est pour ton coeur l’être de tout. Sois toujours mort en Eurydice – et plus chant que jamais remonte, et plus louange, ainsi remonte au pur rapport. Ici, chez les passants, sois, au royaume où tout prend fin, sois un verre qui sonne et dans le son déjà se brise. Sois – et sache à la fois la condition qu’est le non-être, l’infini fondement qu’il est de ta ferveur vibrante, et donne à celle-ci, unique fois, pleine existence. A la nature, utilisée ou bien dormante et muette, à cette ample réserve, à cette inexprimable somme, ajoute-toi en joie et ne fais qu’un néant du nombre.

Aujourd’hui, faisant pâlir un peu les statistiques valaisannes, le ciel est plutôt couvert, pommelé de gris, la couche nuageuses ça et là plus mince, mais ne laissant que peu d’espace au soleil ; l’air est donc plutôt cru. L’ouverture permanente à notre droite, sur la large vallée du Rhône ne nous apporte pas la chaleur espérée. Ce n’est qu’en fin de journée, après un passage à la chapelle d’Ausserberg et la pénitence de notre président, que le soleil nous accordera son réconfort. De là à penser que la pratique d’un certain culte interagirait directement sur les éléments, il n’y a qu’un pas que nous franchissons allégrement. Hergé, ton Temple du Soleil n’est pas loin.