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Pourtant, tout avait très bien commencé. La météo capricieuse de l’été, un jour radieux et le suivant couvert ou pluvieux, et qui tourne ainsi dans une incessante farandole, s’était finalement stabilisée. Il y avait bien une petite incertitude, un front couvert qui vient voiler les crêtes de l’horizon et nourrir la crainte d’une averse, mais finalement tout fut bien, sur ce point au moins. Bien sûr, l’abandon de nos deux Corinne, parties établir un chrono marathonien sur les chemins vicinaux des coteaux du Medoc et conquérir d’une foulée légère le cœur des vignerons Bordelais, n’était pas non plus pour arranger les choses. Mais tout de même, des Audannes aux Otanes, il y a un fossé large et profond, qu’un simple coup de fil nous force de franchir en dernière minute : pas de place disponible à la cabane des Audannes !

A différentes reprises déjà ces dernières années, en hiver à skis, nous sommes allés au fond du Val de Bagnes au-dessus de Fionnay parcourir le glacier de Corbassières, au Petit Combin, au Tournelon Blanc, dans des courses peu accessibles aux randonneurs marcheurs. Cependant, les parcours d’approche de Panossière, bien qu’exigeants, sont facilement praticables en été. Magnifiques, ils offrent la découverte de l’immense plateau glacière des Combin. C’est donc là que nous avons jeté notre dévolu, en remplacement de l’itinéraire initialement planifié.

Quelques centaines de mètres et quelques virages après Lourtier, un parking au bord de la route permet d’abandonner les véhicules (1335m). De là un sentier raide serpente dans la forêt dense de la Shleye, effleure les quelques chalets isolés de la Barmasse et grimpe, grimpe. On s’élève rapidement. En peu de temps le souffle se fait court, cuisses et mollets s’échauffent, le front dégouline. Une première ouverture dans le rideau de verdure laisse apparaître le barrage de Mauvoisin, le Pleureur et le bout d’un glacier. Deux heures après avoir quitté le parking, on passe la limite des arbres, débouche sur un petit replat herbeux et on atteint la cabane Brunet à 2106 m d’altitude, heureux de pouvoir se poser quelques instants et tout surpris aussi de retrouver un brin de civilisation après la rudesse et l’isolement absolu de notre cheminement forestier.

De Brunet, le sentier file vers le Sud, à plat le long de la courbe de niveau, jusqu’à croiser la rivière, puis monte en se redressant progressivement dans la combe du Col des Avouillons. A nouveau, le souffle se fait court, l’allure faiblit, alors que la pente se redresse encore. Bien concentré à poser le pied au meilleur endroit, le regard ne voit que le sol, passant de pierre en pierre dans la lumière assombrie par les parois noires toujours plus proches et le ciel qui s’est couvert entretemps. Sur la ligne de crête au fond, du Mont Rogneux à la Pointe de Boveire, les nuages qui trainent et nappent l’arête semblent annoncer la pluie. Puis, un pas plus loin, la luminosité brusquement s’améliore, forçant à lever les yeux. Le col est là, un mètre au-dessus et déjà on découvre un nouveau décor vaste et blanc. Derrière la pente descendante juste devant nous, l’immense panorama des Combin se dévoile, le long glacier de Corbassière et son ressaut de séracs et, derrière, fermant l’horizon, la masse imposante et majestueuse du Grand Combin. La pente raide sous nos pieds donne l’impression de marcher sur une carte postale géante. Au fond, le torrent qui s’échappe du glacier file sous la longue ligne fine et grise de la passerelle : deux cents mètres de caillebotis accrochés à deux gros câbles, suspendus septante mètres au-dessus du torrent glaciaire. Le sentier qui la rejoint serpente entre de grosses roches rondes et lisses et rejoint de l’autre côté par une large courbe la ligne de la moraine et plus haut la cabane de Panossière. La passerelle est trois cents mètres sous nos pieds alors que la cabane exactement à la hauteur de nos yeux.

A Panossière l’accueil est jovial et animé ; le gardien souriant et exubérant déclame avec force gestes et voix ses instructions et annonce le service du repas. Panossière est une cabane récente, spacieuse, entièrement reconstruite après l’avalanche de 1988, cinq cents mètres plus en avant sur le replat et est bien dégagée de toute pente menaçante.

On est assis face au Pleureur et au glacier du Giétro, comme suspendu dans l’espace, à manger une banane et contempler le décor souligné par le bleu gris du lac de Mauvoisin. Il y a peu, on a franchi le Col des Otanes, à moins d’une heure de Panossière. Ce fut une ascension aisée, sur un bon sentier stable, mais quand même pas autant carrossable comme l’avait laissé entendre le gardien. Le col est une large traversée horizontale dans un chaos de pierres, inondé de soleil. La pente vertigineuse du versant vers le Val de Bagnes est herbeuse, parcourue d’un bon sentier qui plonge rapidement, à peine retenu ça et là par des petites terrasses. Loin au-dessous de nous, deux chocards glissent dans les courants et montent en de larges cercles, presque sans battement d’ailes. En quelques secondes ils ont disparu au-dessus. On est là à commenter cette vision quand une nouvelle silhouette apparaît, plus large. On distingue parfaitement la tache blanche sur le brun de l’aile et les longues rémiges primaires noires, la queue évasée marquée d’une large bande blanche, bordée de noir. L’aigle monte dans un axe vertical juste face à nous, à quelques dizaine de mètres, nous laissant admirer son plumage, son vol souple et le mouvement imperceptible de quelques plumes, l’extrémité de l’aile cintrée vers le haut. Lui aussi, en quelques secondes a gagné plusieurs centaines de mètres et disparaît à notre regard fasciné.

Regagner la vallée n’est plus qu’une question de temps. On laisse à main droite le sentier qui rejoint le barrage et glisse sur notre gauche en direction du petit village de Bonatchiesse, qui se donne des airs de station balnéaire avec son large camping dans la pinède au bord de la rivière. De là, le sentier confortable longe la rive, dans la douceur des terrains herbeux et la fraicheur des sous-bois, jusqu’à Fionnay. Face à l’austère bâtiment de la station électrique, passé le petit pont, le vieux village est un enchevêtrement de mignons petits chalets, vieux, et tous magnifiquement restaurés. L’un d’entre eux, le Mazot, est un petit restaurant à la terrasse ombragée délicieuse, où la carte est aussi délicate que l’accueil.

Il est des migrations de retour vers la plaine et le labeur qui sont difficiles à entreprendre !