La tronçonneuse venait de s’arrêter. Tous les regards étaient tournés vers un petit groupe d’arbres orienté vers les Dents du Midi, juste à côté de la balançoire. Pendant quelques secondes, un silence profond s’était installé et plus rien ne bougeait ; tout était comme arrêté, suspendu. Puis, un craquement bref et sec se fit entendre et, lentement, le tronc prit de l’angle, de la vitesse et s’abattit enfin dans un froissement souple et sourd. Le dernier des douze épicéas prévus pour l’abattage venait de tomber, exactement dans l’alignement visé par le bûcheron et l’axe du câble de traction.

Il y a quelques mois déjà, le garde forestier avait marqué ces arbres et nous avions pour tâche de procéder à l’abattage dès le retour de la belle saison. Parmi les arbres marqués, trois, d’une bonne vingtaine de mètres, étaient situés à proximité du chalet ou, pour l’un d’entre eux, de la propriété voisine. Le dernier épicéa abattu, sec depuis quelques années, risquait de se briser sous la charge conjuguée de la neige et du vent, avec le risque possible de toucher le chalet dans sa chute. Florian avait organisé cette journée avec la méticulosité d’un horloger jurassien. Il avait recruté deux bûcherons professionnels, engagé une poignée d’auxiliaires bénévoles, planifié les tâches et embarqué Raymonde pour la cuisine. Les professionnels étaient chargés des tâches requérant du savoir-faire, afin d’assurer la plus grande sécurité pour les personnes impliquées dans les travaux et pour le chalet. De même, leur expérience était indispensable à la conduite du treuil, monté à l’arrière d’un tracteur, qui servait à la fois à guider la chute de l’arbre, tirant le tronc vers la poulie de renvoi, puis, une fois l’arbre à terre, pour le châbler jusqu’à la zone de débitage. Pendant ce temps, hors du périmètre de chute, les autres participants ébranchaient et tronçonnaient les billes.

Tous les arbres étaient à terre quand midi sonnait aux clochers des églises et que nous étions regroupés autour de la table pour un moment convivial. La partie technique et délicate était terminée. Dans l’après-midi, Sylvain s’attaqua au débitage des deux plus grandes billes, desquelles il tira quatre nouveaux bancs. Plutôt clémente, la météo n’avait finalement produit que quelques gouttes et bien que le ciel resta chargé, quelques magnifiques percés de soleil chauffaient l’air et l’atmosphère. Les grosses pluies furent pour le soir et la nuit. Le plafond nuageux, noir et bas au-dessus du Chablais, se trouvait zébré d’éclairs, créant un  magnifique spectacle de sons et lumières qui s’éloignait lentement vers Genève avec le déplacement de l’orage.