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Rencontre du troisième type

Ça n’aura duré que quelques secondes, deux, peut-être trois. Ce fut tellement inattendu et soudain qu’on est resté ébahi, incrédule devant cette vision fugitive. Pégase, on a vu Pégase ! Un Pégase sans aile et avec des cornes puissantes, libre, au point que les trois dimensions de l’espace lui appartenaient complètement. Un Pegase qui bondit de bloc en bloc dans notre dos à deux mètres et plonge dans la face vertigineuse. Une vision magique à la limite du ciel et tellement brève, que maintenant que l’on est redescendu sur terre, on se demande si on l’a pas simplement rêvée.

A Moiry, au-dessus du glacier, le ciel bleu et sans nuage annonce une chaude journée, même à plus de trois mille mètres d’altitude. Au petit matin, encore à l’ombre des sommets proches environnants, la température est agréable pour marcher ; mais dès que nous aurons été rejoints par le soleil, et plus loin après le col, il fera chaud pour grimper, le faible courant d’air sur la crête ne parvenant pas à nous rafraichir. Deux semaines auparavant, dans la même traversée, le brouillard nous cueillait sur l’arête, ne laissant apparaître que par des trouées nébuleuses la magnifique vue sur les sommets de Moiry.

La Couronne de Bréona ferme à l’Ouest le site du glacier de Moiry, entre le Col de la Couronne et le Col de Bréona. Elle est formée d’une succession de clochetons, offrant une escalade aérienne, fine, dans un rocher très sain. Conscients de la longue journée qui nous attendait, nous avions choisi d’atteindre le Col de la Couronne depuis le versant d’Anniviers, en bivouaquant au parking face au glacier, nous permettant ainsi d’économiser deux heures de montée et autant pour le retour en comparaison d’avec le versant d’Hérens. De Moiry part un sentier qui remonte la moraine de la rive gauche du glacier, jusqu’à rejoindre l’arête Nord qui descend de la Pointe de Moiry. Un sentier peu visible parcourt la crête et vient mourir sur une petite selle, marquée d’un caïrn. De là, on rejoint la combe d’éboulis à notre droite, en cherchant le tracé entre les pierres et les névés résiduels, jusqu’à atteindre la petite sente herbeuse et raide qui rejoint le col. Devant nous se dresse alors un mur en ressauts verticaux, fendu d’une cheminée étroite. En partant sur la bordure gauche, puis en restant sur le fil de l’arête, les prises se succèdent, certaines larges et confortables, d’autres moins marquées, mais toujours solides, fiables. A distance régulière et proche, des lames, des petites pointes permettent de poser une cordelette, ou une fissure étroite pour accueillir un coinceur, ou encore, une succession de blocs laisse alterner le passage de la corde d’un versant vers l’autre, permettant un bon assurage partout.

Le clocher de la Couronne offre quelques émotions nouvelles à celui qui n’a jamais pratiqué de rappel. Cent mètres de descente le dos au vide, avec une confiance aveugle à attribuer au matériel, à l’encrage dans la roche, à la corde et au nœud qui se tortille en glissant dans le mousqueton. Et dans la descente, il faut localiser l’anneau suivant sur lequel on réinstallera le rappel. Le dernier anneau est invisible, placé en fait juste sur l’autre versant, il force à chercher et à s’aguiller inconfortablement sur le fil. Le gendarme suivant se franchit en cherchant les prises dans la face versant Moiry, à l’ombre, dans une légère fraicheur bienvenue. Une suite de fissures obliques et de lames permet de monter quasi verticalement. L’escalade  est élégante, tendue, jusqu’à la ligne de crête formée d’une petite selle, courte et étroite, et de blocs plus imposants sur lesquels il fera bon se reposer quelques instants. C’est lorsque mon compagnon prend pied de cette ascension sur la petite plateforme qu’un éclair brun bondit de pierres en pierres dans notre dos, nous contourne et plonge dans le vide !

Notre surprise passée, nous reprenons notre progression, aisée maintenant. Vers le sommet, la crête forme comme un large trottoir irrégulier, haut perché, encombré par quelques gros blocs faciles à contourner ou à franchir. Un nouveau rappel permet de faciliter la désescalade. On évite un gros gendarme de roche rouge par une cheminée latérale sur le versant d’Hérens, puis on bute sur un mamelon qui, de premier abord et bien que peu élevé et rond, parait infranchissable, mais qui, après quelques mètres déjà, découvre le sentier facile vers le col de Bréona.

Emporté par notre élan, par notre soif d’arriver aussi sans doute, on descend du col vers Moiry, vers un premier ressaut qui borde un pierrier sévère, sans vraiment remarquer, ni vérifier ma foi, que le col de Bréona est un cul de sac et que pour rejoindre Moiry il faut aller encore plus loin, derrière le petit sommet de la Serra Neire, et rejoindre le col de Tsaté. Ce n’est qu’en arrivant en limite du grand saut que l’on constate notre méprise et que l’on voit le sentier, cent mètres plus bas derrière une arête rocheuse. Un peu à notre droite, une sorte d’ouverture mène à un éboulis inconfortable, mi dévaloir à cailloux, mi tas de gravière, que l’on va descendre prudemment, histoire de ne pas s’étaler dans la pierraille, jusqu’à rejoindre l’excellent sentier qui relie le parking du glacier de Moiry, peu avant la nuit.