De manière tout à fait inattendue et spontanée, la course de juillet s’est effectuée sur le thème du soleil levant. Ne vous laissez guider par votre vécu ! Il ne s’agit nullement ici du soleil matinal qui enflamme la ligne brisée de notre horizon proche, mais de son pendant géographique, symbolisé par un soleil rouge qui monte dans un ciel blanc au dessus du Pacifique, le Japon. L’histoire commence à la manière d’un conte de Grimm.

Il était une fois, trois délicates petites dames égarées dans nos contrées, qui avaient fait halte sur la Riviera lémanique. Curieuses, l’esprit de notre pays semblait les avoir atteintes dans leurs préparatifs minutieux, même si des mots découverts, elles n’avaient probablement pas encore capté toute la saveur poétique :

Des veaux, des vaches,

Des lacs, des forêts, de la vigne,

Même un glacier.

Ce qui, traduit dans l’esprit nippon donne :

Loin des cerisiers en fleur,

Des vaches cornent leur gloire estivale.

Glacier source de vie.

Courageuses et intrépides comme leurs héroïnes de Manga, après une nuit passée sur la paille de l’Oberland bernois, Sumie, Miyoko et Tomoko San envisagent de parcourir nos montagnes et d’arpenter nos glaciers. Quoi de plus naturel, de plus approprié aussi, que d’aborder le Club Montagnard pour réaliser ce plan, par ailleurs condensé comme seul un programme japonais peut l’être. En quelques heures, vaches, lacs, vignes et vins, forêts, montagnes, glacier et cabane, village et géraniums, musique folklorique, raclette et fondue, ainsi qu’une belle dose d’amitié auront impressionnés les pixels, dans un tour de Suisse culturel, géographique, touristique et émotionnel d’une intensité qu’aucun tour opérateur ne saurait réaliser, fut-il nippo-helveticus.

Le soleil irradiait le monde alors que nous alignons nos pas dans la raide montée vers Moiry. Quelques courts névés subsistent dans les creux abrités, nécessitant une progression mesurée et prudente. Et les sacs sont bien lourds ; cordes, crampons et piolets s’ajoutent à l’équipement usuel de randonnée. Alors que d’un côté le décor et la pente sévère favorisent le silence et la méditation, nos deux charmantes clubistes (restons prudemment dans l’anonymat) se chargent de le combler d’un pépiement incessant. Puis soudain, à une encablure, le toit de la cabane apparait, masquant encore, bien que l’on s’approchait, la masse volumineuse et rectangulaire de l’agrandissement récent. Jouxtant la vieille bâtisse de pierres, une magnifique nouvelle construction de bois, toute habillée de verre et de cuivre, domine le plat du glacier de plus de cent mètres et fait face à la chute du glacier, tourmentée, éclatée, déchirée et figée dans la pente.

Le temps de terminer nos préparatifs et de nous équiper, une fine pluie nous accueillait sur la terrasse, forçant au repli prudent, à l’attente patiente et à l’observation attentive. L’esprit oriental et la zen attitude devaient encore imprégner la deuxième journée du weekend, alors que bouffi et silencieux nous regardons les lentes volutes de théine troubler l’eau de notre breuvage matinal. Par les larges baies vitrées, nous apercevons de semblables volutes, d’un gris sombre et menaçant, danser et valdinguer par-dessus-les hautes crêtes alentours et envahir notre ciel, qui d’évidence n’allaient pas tarder à nous tomber sur la tête.

Les grandes baies offrent l’avantage d’une observation aisée et confortable de l’évolution des conditions météo. Qu’une trouée de ciel bleu se crée, éclairant une plage de terrain, elle déclenchait alors un magnifique arc-en-ciel, accompagné des Oh! et des Ah! des touristes ébahis. Les brusques brassées de brouillard, masquant tout à nouveau, ramenaient les montagnards frustrés et impatients vers leurs tables, dans l’attente de la prochaine éclaircie.

Vers le milieu de la matinée, dans un brassage continu de la nébulosité et des remontées de brouillard, la pluie semble durablement cesser et le ciel progressivement se dégager. Adaptant notre programme à l’heure tardive du moment, nous choisissons de nous replier par le glacier, donnant à nos amies exotiques l’opportunité de toucher la glace, de chausser les crampons et de progresser encordées.

Le sentier serpente sous la cabane dans une pente raide, traverse de petites taches herbeuses et franchit quelques couloirs d’éboulis. Les mousses grises des pierres sont rendues très glissantes par la pluie, forçant à une progression ralentie et prudente. La moraine atteinte, le glacier n’est alors plus à quelques mètres, que l’on franchit rapidement.

Commence alors une lente progression, corde tendue, à travers le glacier. Notre petite procession longe quelques fines crevasses, que l’on franchit parfois d’un bond. A l’exception de quelques bouchons de neige couvrant certaines ouvertures, que nous évitons précautionneusement, le glacier est exempt de neige, facilitant la reconnaissance de l’itinéraire. La glace poreuse et craquante en surface rend la marche aisée, confortable et sure, même pour nos compagnes inexpérimentées. Notre intention est de redescendre le glacier dans toute sa longueur, en nous tenant éloignés des zones tourmentées, et sans trop approcher la moraine opposée, pour éviter les fréquentes chutes de pierres qui s’en détachent. Un petit rappel nous permet de franchir rapidement une portion très raide et de rejoindre la zone plate de la langue terminale, avant de fouler les gazons fleuris menant au parking.

Brume et pluie.

Fuji caché. Mais maintenant je vais

Content.»

Matsuo Basho 1644 – 1694

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