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Capricieuse comme une horloge. La métaphore du poète vaudois Jean-Villars Gilles nous offre décidément de multiples rappels. Ce weekend, c’est la météo qui fait écho à ce vers, facétieuse à souhait et, telle une demoiselle frivole, elle joue avec nos sens et notre perception des éléments pour nous mettre dans le doute. Aussi, seule notre habituelle détermination, obstinée et habile, saura nous pousser à monter en altitude et à réaliser notre course, sans toutefois tomber dans le piège d’une prise de risques inconsidérée.

Vendredi, il pleut en plaine et la limite de la neige s’établit à 1500m. Les prévisions annoncent un temps stable et beau pour le samedi, avec une nébulosité variable, bien accrochée sur les reliefs. Pour le dimanche, oubliez tout simplement l’idée de mettre votre nez dehors. En effet, il est écrit quelque part que le climat dominical sera idéal pour les escargots, les grenouilles et les canards, qu’ils soient avec ou sans orange. Pour les autres, pensez plutôt à aller au cinéma, Monica Belluci est à l’affiche dans Le Meraviglie primé à Cannes en 2014, vous garantissant lune et soleil plein les yeux. Pour nous, samedi,  le bulletin des avalanches présente un « degré 2 limité » et une météo favorable à l’écran de nos préoccupations montagnardes. Le plafond nuageux bas et le froid humide du petit matin nous amènent assez naturellement à nous réfugier dans la chaleureuse atmosphère du Café du Chamois à L’Etivaz, pour disserter de tout et ne rien décider, mais armer notre motivation à cran. Partant de là, les cinq prochaines heures ne devraient nous laisser aucun répit thermique et faire la démonstration de notre volonté à marquer la montagne de notre plaisir toujours renouvelé.

La course commence par la longue remontée du vallon de l’Eau Froide. La route enneigée longe d’abord la rivière et se perd à la lisière de la forêt, peu avant l’alpage des Maulatrays. De là, en restant sur la rive droite de la rivière, on progresse sous la barre des Arpilles. Quelques virages dans la pente raide nous conduisent devant un petit chalet isolé, dont la clôture barbelée est chargée de fines aiguilles de glace. Plus loin, l’inclinaison faiblit alors que l’on entre dans une brume fantomatique. La trace, bien marquée dans la neige fraîche et poudreuse,, se glisse dans un doux vallonnement puis se faufile dans décor de bonzaïs japonais, dans lequel nous tenons le rôle du nain de jardin, entre quelques gros blocs cubiques, surmontés de petits mélèzes poudrés. A ce moment de notre progression, dans cet environnement cotonneux, seule la trace bien marquée nous guide. Le blanc est partout, devant, derrière, à droite et à gauche, dessous et dessus. L’horizon visible n’est que de quelques mètres. Cependant, bien que notre allure ne soit pas très rapide, nous progressons régulièrement, jusqu’à atteindre le resserrement et le redressement marqué de la combe. Le disque pâle du soleil transparaît alors et distingue au-dessus de nous la ligne courbe du col de Séron que l’on atteindra rapidement après quelques conversions adroites, à gauche et à droite.

Les premiers skieurs descendant du sommet tracent à nos côtés quelques belles courbes, laissant augurer d’un plaisir à venir, mais encore conditionnel.  Du col, la progression marque deux ressauts. Le premier, court et raide se franchit assez rapidement. Au-dessus de nos têtes, le ton gris clair semble se bleuter un peu et autour de nous l’air paraît moins dense, plus léger. La température se réchauffe, jusqu’à ce que, d’un coup, la tête débouche à la lumière vive sous un ciel bleu azur, aveuglant les yeux et laissant le reste du corps encore englué dans la mélasse blanchâtre. Quelques pas plus loin, on atteint le vrai bonheur, la brume est sous nos pieds. Là, la pente s’affaiblit ; on longe alors une large crête ronde sur son flanc Sud, dans un léger courant glacial traversant.  Progressivement, le triangle de la crête sommitale qui se dessine, se redresse et se resserre, est formée au Nord par un à-pic rocheux, garnie d’une large corniche de neige et de l’autre côté par une face lisse, très raide, glissant vers le vide abyssal. Le sommet, garni d’une antenne météo n’est alors plus qu’à quelques dizaines de mètres.

Après quelques minutes d’émerveillement, on se laisse glisser vers l’abîme, dans sa marge immédiate plutôt, recherchant les zones laissées encore libres de trace par les skieurs avant nous. Bien que légèrement humide, la belle couche de neige tendre se laisse marquer en douceur, dessinant derrière nous un entrelacs de boucles et d’anglaises du plus bel effet. Au col, que l’on reconnait à la paroi anthracite devant nous, on rejoint les vapeurs froides de notre bain turque préalpin. La visibilité étant à nouveau très faible,  nous restons attentifs à bien skier dans la zone des traces de nos prédécesseurs, utilisant leurs marques comme un fil d’Ariane. Cependant, si cette technique a l’avantage de nous conduire à coup sûr là où d’autres sont allés, on prend aussi le risque d’aller ailleurs qu’où on veut vraiment et de se retrouver … à Rome. Notez en passant qu’à la Piazza Navona, la Gelateria artigianale Da Quinto mériterait bien ce détour. Ainsi, sans aller si loin et en gardant notre direction vers le Nord, de combes en vallons, de traversées en plongées, on rejoint un alpage et le pont qui franchit la rivière, sans reconnaître l’endroit cependant, puisque l’on est à l’envers. L’alpage est celui de Séron, on franchit la Torneresse à Pâquis Mottier et on est à l’Est de la barre des Arpilles alors que l’on prévoyait glisser à l’Ouest vers  Planpérette.

Néanmoins, comme tous les chemins de ce coin de pays mènent à L’Etivaz, on se retrouve heureux et joyeux autour d’une grande panachée à notre point de départ du Café du Chamois. Santé !