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Décidément, c’est tout ou rien. Depuis des semaines, voyant les faces des Préalpes se dégarnir au fur et à mesure que le thermomètre montait, lié à un ciel radieux, on était tous à scruter la météo à dix jours et à brûler des cierges pour appeler le retour des frimas et des précipitations, mais non, rien. Sans doute notre ferveur et nos sacrifices étaient-ils insuffisants, ou naïfs, ou trop païens, mais les cieux, eux, tardaient à intercéder. Et puis, brusquement, tout changea. Le ciel s’obscurcit, la lumière baissa, le vent enfla, secouant les branches et faisant valser les rares feuilles restées au sol. Un rien de plus et c’était le déluge nous ramenant Noé, ou l’entrée dans l’apocalypse de Belzébuth, plutôt que l’avènement du paradis promis par Aphrodite. Alors, comme par miracle, il neigea. Loin de nous tout d’abord, des masses de flocons s’abattirent aux Grisons, puis, se rapprochèrent par vagues du Gothard, jusqu’à atteindre enfin le Chablais et les Préalpes. En parallèle, le niveau de risque d’avalanches passa d’heure en heure de 2 à 3, puis grimpa à 4, venant à notre rencontre, avant de retomber juste avant la fin de la semaine. Et si maintenant le soleil ne revenait plus ?

Dans ces conditions instables, nous avions deux options. Indiscutablement, le jackpot était dans les pentes et les couloirs sous la forme de plus de cinquante centimètres de crème légère, qui n’attendait que le fouet de nos spatules pour nous révéler sa vraie nature. Un coup de poker pouvait nous offrir une course d’exception, ou pas, et alors gare à nos fesses ! La seconde option était de retenir nos chevaux et notre égo et de se la jouer petit, pas trop raide, pas trop haut et pas trop loin, et de conserver ainsi toutes nos chances de retrouver ces pentes, mais une autre fois, dans les  conditions rêvées. Finalement, après un jeu de ping-pong, par Whattsapp interposé, nous avons abandonné la Tête de l’Herbette, dont la seule appellation en avait rebuté plus d’un, laissant penser que nous n’y trouverions que des perce-neiges et des dents de lion, et opté pour La Para.

La Para, nommée La Pare sur la carte, domine Les Diablerets au Sud et L’Etivaz et le Pays d’En-Haut au Nord. Pas très haute, avec seulement 2540m d’altitude, elle avait dû recevoir des tonnes de neige ces derniers jours, mais peut-être aussi beaucoup d’eau avec un bon coup de foehn en prime. La couche de surface était très dure et bien portante dès le départ du vallon de la Torneresse, que l’on remonte entre route et rivière jusqu’au lieu-dit Pâquier Mottier où un pont permet de changer de rive. De là, le tracé attaque le flanc Est du vallon, zigzaguant dans la pente raide de la forêt, jusqu’à retrouver la face exposée des Arpilles. Ça et là au-dessus de nous, de petites coulées ont formé des gros blocs de neige irréguliers qui forcent à une gestuelle acrobatique pour traverser et à des détours aussi. Plus haut, vers 2000 mètres, alors que l’on atteint un vaste replat, se dresse devant nous une formidable cathédrale rocheuse, avec un haut clocher à sa droite, la Cape aux Moines, qui fait écho dans nos esprits avec celle plus familière de Jaman. Là, sous les Rayes de Seron et le col, le manteau de neige est formé de curieuses stries, comme de la tôle ondulée orientée vers le bas, dont les crêtes auraient une largeur de cinquante centimètres à deux mètres, séparées par une étroite rigole en « V ».

On était là à des années-lumière de la couche de poudreuse de nos rêves. Plus haut, dès le col et sur l’arrête terminale, alors que nous progressions dans une chaleur inhabituelle, la surface était lisse et ramollie, laissant présager des conditions printanières très plaisantes pour la descente. Soumise aux vents, la crête sommitale de La Para s’orne régulièrement d’un magnifique liston de neige, une belle corniche large et épaisse, mais tristement réputée pour sa traîtrise, qui domine la face Nord et deux hautes barres de rochers ; la trace s’en tient donc raisonnablement éloignée. Le sommet, un espace de quelques mètres, garni d’une vilaine antenne de téléphonie, nous offrait la surprise d’une fière Dame portant haut la flamme sur fond de montagnes, dans une représentation plus vrai que celle à l’écran au lancement d’un film… (gag). Le retour fut rapide et plaisant et le passage au vibreur de la zone tôlée de Seron sera rapidement oublié. Quand on aime, ça ne compte pas.

Finalement donc, ce fut une belle sortie sous le soleil, avec une belle équipe solide et soudée, qui encourage à monter encore, à monter toujours, à monter vers le froid permanent, vers les glaciers, les noirs abîmes, sur les neigeuses hauteurs, sur nos monts et dans nos cœurs ; sur nos monts et dans nos cœurs (*).

* Quelques mots empruntés au chant officiel du Club Montagnard de la Tour-de-Peilz