Les conditions s’annonçaient caniculaires. Aussi, rares furent les courageux à préférer les arides pentes valaisannes et la fraîcheur désaltérante des torrents anniviards à la rive ombragée d’un bord de piscine et la saveur gouleyante d’une caipirinha glacée.

Année après année, nos étapes à mi-coteau se succèdent, marquant la progression de notre haute route pédestre sur le versant sud de la vallée du Rhône, vers notre but ultime : le pied du Cervin à Zermatt. Conformément à notre approche, nous avons replacé nos pions sur la carte de notre projet valaisan, à la case « Evolène » atteinte l’an dernier. Le jeté de dé de notre jeu de l’oie géant, nous imposait une halte nocturne à Moiry et la fin jeu 2012 à St-Luc-Tignousaz, équivalant à deux ridicules enjambées pour Guliver, mais largement quelques-unes de plus pour nous. Nous réalisons que la croûte terrestre, vue de Pluton, semble à l’image du crâne lisse de Jean-Marc Richard, bien qu’elle présente en réalité les aspérités d’un relief très accidenté, d’un point d’observation situé à un mètre cinquante au-dessus du profil Vibram de nos chaussures. En bref, y a de quoi faire.

D’Evolène, un agréable sentier ombragé attaque en zigzags réguliers la pente qui rejoint les pâturages du haut. En ce début de matinée, le bosquet de feuillus nous couvre d’une délicate fraîcheur trompeuse. Nos esprits libres, et le plaisir de nous retrouver, génèrent force babillages, révélant les derniers cancans, les souvenirs de vacances et le rire de toutes nos petites joies passées.

Passé la limite des arbres, on atteint le premier niveau de pâturage qui domine la plaine et la via ferrata. On atteint le silence aussi, alors qu’on quitte l’ombre et la fraîcheur pour viser quelques 1500m plus haut le passage tracé dans la caillasse et la poussière. Au-dessus de nos têtes les ombres noires des chocards et les voiles bariolées des parapentistes glissent sans bruit. Aux mayens de Cotter, le doux glouglou d’une fontaine nous donne l’opportunité d’une pause bienvenue, partagée avec la fermière du lieu. Sans le souci d’une progression régulière, on y serait encore à jouir de la quiétude de l’endroit et de l’amabilité affable de la bergère.

Plus haut, les berges de gouille du Béplan semblaient vouloir rivaliser avec les plages méditerranéennes à la mode, tant l’affluence y était grande. Une centaine de créatures au regard hostile, en robes noires et plus que raisonnablement bronzées, piétinaient l’herbe alentour et pataugeaient dans la petite mare. Creusant la rive de leurs pieds lourds, elles brassaient la matière à en créer une boue poisseuse et une eau sombre. Le corps massif et la corne pointue n’encourageant guère le randonneur à un pique-nique en tête à tête. De là, on apercevait déjà nettement les derniers lacets conduisant au col de Torrent, à 2916m d’altitude, annonciateur d’une certaine délivrance, bien qu’une heure nous séparait encore de ce moment.

Au col, la plongée vers Moiry s’effectue rapidement. D’abord par le regard, attiré par le bleu turquoise du lac artificiel, dont même la couleur n’apparait pas naturelle. L’eau, chargée de micro paillettes de roche est totalement opaque, d’une brillance satinée, sans reflet dans sa nuance écoeurante et chimique, semblable à une laque acrylique. Le contraste avec le petit lac des Autannes est saisissant. D’une transparence limpide, celui-ci reflète sur un fond moiré les découpes contrastées des crêtes, vibrées par les risées des courants thermiques. L’invite est telle, que nous n’hésiterons pas, pour les moins endurci(e)s, à tremper frileusement le bout du gros orteil, et pour les autres, à s’abandonner complètement dans les délices d’une onde revitalisante.

Le grand raid VTT Verbier-Grimentz croisant notre chemin sur quelques centaines de mètres, nous goûtons le plaisir de notre liberté, débarrassés que nous sommes d’une mécanique encombrante, trépidante sur chaque pierre, qui nécessite un œil rivé sur la roue avant et l’autre focalisé sur le tracé juste devant, pour ne pas risquer le plongeon dans la peinture turquoise 50m plus bas. Ont-ils simplement entre-aperçu la table plate massive du Cervin qui marquait l’horizon, le triangle massif de la Dent blanche, la face déneigée du Mont Blanc de Cheillon et tous ces autres pics et masses verticales, blanches, grises et noires, que nous ne savions pas nommer ?

A l’entrée de la couronne du barrage de Moiry, comme enchâssé dans une encoignure rocheuse, une petite taverne de béton nous attend depuis plus de trente ans. Un couple charmant, Madame au fourneau et Monsieur au service, offre un accueil délicat, une cuisine savoureuse, un cru charpenté dans un décor de nuances de gris et de turquoise acide. L’hébergement est à quelques minutes du restaurant et à quelques mètres du grand saut pour celui qui aurait trop goûté aux plaisirs de la bouteille. Il faut en effet avoir le pied sûr pour grimper de nuit le sentier raide et savoir garder l’œil vif pour ne pas franchir la terrasse du chalet trop rapidement. A noter, le club n’encourage pas le saut à l’élastique, sans élastique !

Il faut un rude effort entre nous pour le suivre de bout en bout, de Moiry à Tignousa. La première heure qui nous mène au col de Sorebois et nous sert d’échauffement, n’est déjà pas de tout repos. A l’ombre de la crête, on reste protégé du rayonnement jusqu’au col, permettant de bénéficier pleinement de la fraîcheur matinale. Ensuite, c’est l’éblouissement. Celui du soleil d’abord, qui domine la ligne en dents de scie de l’horizon et inonde la vallée. Celui de la vue ensuite, sur Couronne Impériale, les 4000m avoisinants qui ferment le Val d’Anniviers, la Dent Blanche, l’Obergabelhorn, le Rothorn de Zinal et le Weisshorn, ne laissant derrière qu’une courte masse tronquée figurer le Cervin. Et les glaciers, et les sommets moindres, mais non moins imposants et si majestueux. Wouaaaah.

La descente s’effectue rapidement jusqu’à la station d’arrivée de la télécabine, qui va nous permettre de gagner un peu de temps sur le programme et de ménager genoux et pieds, en évitant la descente vers Zinal. De là, le sentier s’élève rapidement dans une forêt de mélèzes, le long du torrent de Lirec. En s’approchant de la limite des arbres, vers 2000 mètres, il prend la tangente vers le Nord, vers l’alpage de Barneusaz puis celui de Nava. On s’approche alors de Pluton, on est en plein délire, la Terre est encore loin, il fait chaud. Pfff.

Au-dessus de St-Luc, en direction de Zinal, jusque sous les Pointes de Nava, s’étire un long chemin large qui rejoint la vieille bâtisse de l’Hôtel Weisshorn. Il se raccorde alors au sentier qui monte de Zinal. En bordure de ce cheminement, une série de sculptures simples figurent les huit planètes du système solaire et Pluton, déclassée en 2008 par l’Union Astronomique Internationale. Un grand cadran solaire d’une vingtaine de mètres de diamètre représente le soleil, à côté de l’arrivée du funiculaire à Tignousaz. Partant de là, chaque planète est représentée, à une distance et dimension proportionnelle. Mercure n’est qu’à quelques dizaines de mètres, Venus à peine plus loin, notre Terre et sa Lune à deux cents mètres à peine, alors que Pluton termine la série à trois kilomètres dans un décor lunaire de cailloux et de buissons épars sur fond de sommets de 3 et 4000 mètres.

Ce sentier des Planètes nous permet de terminer dans une ambiance de belle ballade, les pieds meurtris quand même, nous faisant atterrir dans une réelle fournaise solaire.

Michel

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