A Saas Fee la rareté des touristes, les résidences vides, les hôtels fermés et les stores baissés enlèvent toute âme au village et le rendent morne et apathique. Aussi, notre simple présence suffit déjà à le réanimer un peu, remplissant le vide de l’espace qui résonne alors de nos pas lourds et de nos échanges légers. Au restaurant aussi, le calme feutré et la faible activité régnants sont brusquement submergés par la vague humaine que nous formons et la chaleureuse énergie qui nous anime, se remplissant rapidement de notre gaîté et de l’effet des émotions de notre longue randonnée. Plaisamment accueillis, choyés par des maîtres d’hôtel attentifs se disputant les rares clients, notre joyeuse humeur et nos appétits impatients se nourrissent d’attentions, de bonnes chairs, de vins gouleyants, de blagues grivoises et de réparties vives, jusqu’à une heure plutôt inhabituelle pour celui qui s’apprête à longuement arpenter la montagne le lendemain. A notre décharge, nul d’entre nous n’était pressé de rejoindre le médiocre dortoir, piètrement aménagé dans l’abri PC d’une boulangerie du lieu, mais cependant taxé à l’équivalent des meilleurs refuges alpins. Santé !

A son habitude cette année, le soleil avait abusé du jeu de cache-cache, laissant des brumes denses envahir notre environnement, noyer les sombres vallées et submerger les hautes crêtes. Au gré des turbulences, des espaces se créaient, laissant apparaître le bleu du ciel, un sommet enneigé, un hameau dominant l’abîme vertigineux et plein d’autres visions aussi, et tellement fugitives, que la brièveté de leur apparition les rendait plus précieuses et  plus enivrantes encore. Trichant un peu avec l’esprit montagnard, sautant comme une puce sur la carte, nous avions rejoint le tracé de notre périple valaisan à Hannigalp, avec l’aide de la télécabine, faisant l’économie de 1300m de montée en forêt. La randonnée d’Hannigalp vers Saas Fee emprunte l’un des sentiers les plus spectaculaires des Alpes Valaisannes. Taillé dans la pente raide, dominant de mille mètres le fond de la vallée de Saas, il franchit des barres de rochers, croise des torrents, traverse des pierriers et quelques replats herbeux, maintenant une vue imprenable, sinon par la brume, sur le Bietschhorn, le Weissmies et le Balfrin, au point que l’on se croirait dans un calendrier de belles photos de montagne.

Bien que taillé dans les flancs escarpés, à raz du vide tout proche, le sentier ne présente toutefois pas de danger marqué, sinon celui d’oublier de regarder ses pieds dans la contemplation d’un paysage grandiose et d’une sauvagerie vertigineuse et minérale. Tout y est, rochers abruptes, mélèzes vert tendre, glaciers suspendus, sommets enneigés, pierriers chaotiques, ciel tourmenté et même des bouquetins indolents. Quelques rares chalets et mazots, posés sur une étroite terrasse de gazon au-dessous de nos pieds, nous figurent une vision à l’échelle de Gulliver. Partis de 2121m, le tracé chemine sur une ligne brisée, tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, se maintenant dans une variation d’altitudes peu marquée, pas trop éprouvante pour les organismes. Cependant, il vaut mieux se prémunir de tout, car aucun abri n’existe avant l’arrivée à Saas Fee, hormis quelques torrents et myrtilliers éparts.

Le retour, à mi-coteau de la rive droite de la Saaservispa de Saas Grund à Gspon sera plus aisé. L’itinéraire fait partie du « Grand chemin des Walser » et compte parmi les plus appréciés de la vallée de Saas. Le chemin surplombe les gorges de la Saaser Vispa et longe la pente juste au-dessus de la limite de la forêt, offrant une vue magnifique sur les grands sommets des Alpes valaisannes et bernoises du massif d’Aletsch. Profitant à nouveau des remontées mécaniques, on franchit en quelques minutes  la longue montée jusqu’à Kreuzboden. Dans la première partie, le chemin est plutôt plat, facile à marcher à travers les pâturages d’altitude. On atteint rapidement un alpage de rêve, Hoferälfpji, où le berger accueillant et affable nous présente sa cave et propose sa délicieuse production, qui sera une excuse à une plaisante pause dans l’herbe broutée. De là, le sentier prend un peu d’altitude, franchit quelques rochers et ressauts. Il  s’engage dans la forêt de mélèzes et plonge brusquement pour atteindre la mignonne chapelle de St. Josef de Ober Finilu, où trois étroites rangées de bancs invitent au recueillement dans un havre de paix et de verdure.

La descente raide n’est plus très longue et, moins d’une heure plus tard, nous atteignons Gspon, heureux et un peu fourbus tout de même, Gspon.

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