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Le plafond nuageux était très bas ce dimanche-là. La température avait chuté pendant la nuit et les précipitations abondantes de la veille avaient fini par blanchir les crêtes et les clairières du Jura que l’on distinguait ça et là au travers de trouées, formant des taches plus claires aux contours imprécis, se mêlant aux multiples nuances de gris des bancs de brumes trainants. Le ballet intermittent des essuie-glaces laissait penser que cette journée serait très humide et donc, par précaution, un parapluie avait été glissé dans chaque sac. Néanmoins, après une brève bruine, qui nous rappelait de vivifiants souvenirs bretons, le temps fut plutôt clément et quelques belles ouvertures bleues vinrent ponctuer cette agréable balade.

Vanté sur les médias modernes comme un point exceptionnel, offrant une vue imprenable sur les Alpes, le Jura et le Seeland, le Mont Vully semble vouloir rivaliser dans son vocable avec le Mont Blanc ou le Cervin, un peu comme David défia Goliath. Effectivement, sa localisation centrée entre les lacs de Neuchâtel, de Morat et de Bienne en fait un point particulièrement bien positionné, que des garnisons ont exploité jusqu’à la dernière guerre, ce que témoignent plusieurs ouvrages d’observation et de protection. Pour nous, c’est surtout le plaisir simple de marcher dans les bois, à fouler les feuilles tombées et à s’enivrer des parfums et des couleurs d’automne qui nous a mené là. Sortis des bois, la vue est permanente sur l’un ou l’autre des lacs et de leur superbe environnement, les belles parallèles des plans de vigne ou la mosaïque des champs bordant la ligne du canal. Mais pour la vue sur les sommets, quel que soit le point d’observation choisi, il nous faudra repasser par une froide journée d’hiver ensoleillée, référence faite aux innombrables brumes et nappes nuageuses denses et mouvantes de ce jour.

En chemin, l’endroit nous réserve une surprise de taille sous la forme d’une énorme pierre ronde de gneiss, de plus de dix mètres de diamètre. Elle a été déposée-là, un peu avant que l’endroit ne devienne une forêt, il y a dix ou vingt mille ans par le glacier du Rhône. La légende veut que : « Le géant Gargantua s’en allait vers l’Italie. Fatigué, il décide de se reposer sur le Mont Vully. Alors qu’il dort, le Diable s’empare de son pique-nique, un pain de seigle du Valais, une bouteille de Dorin et un saucisson en croûte. A son réveil, Gargantua reprend sa route, quand il s’aperçoit que son casse-croûte a disparu. De rage, il s’empare de pierres qu’il lance en direction du Mont Vully. On dit que l’une d’entre elles, le Palet roulant, aurait obstrué l’antre du Diable et que ce n’est qu’à la pleine lune que la pierre roule pour dévoiler les mille merveilles de la caverne. Mais attention, aux douze coups de minuit la porte se referme et emprisonne ceux qui se seraient laissé entraîner par la douce musique. Apprenons de cette histoire que tout dormeur vit aux dépens de celui qui l’épie; cette leçon vaut sans doute bien un saucisson. Honteux et confus, Gargantua jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. »

Un gars bien, du nom de Jean-Louis Agassiz, qui n’a pas inventé le concours de dégustation des vins qui se prénomme comme lui, a démontré qu’il s’agit d’un bloc erratique de la région d’Arolla. A cette époque, les glaciers des vallées sont suffisamment grands pour se rejoindre et former une immense calotte qui ne laisse dépasser que les montagnes les plus pentues. Les glaces des Alpes occidentales se joignent à celles de la calotte jurassienne mais s’arrêtent 30 km avant Lyon. La branche suisse du glacier du Rhône s’arrête au niveau de Bienne et ne rejoint pas le glacier du Rhin qui s’arrête à Schaffhouse. En Italie, les glaciers s’avancent jusqu’à la plaine du Pô et sont à l’origine des lacs qui la bordent. À cette époque, la température moyenne de la Méditerranée au pied des Alpes varie entre 8 °C en hiver et 11 en été. (Source Wikipedia).

Bien calés sur un petit banc, bien qu’attentifs à chaque craquement, on a fait bombance en toute convivialité. Dans la douceur de l’instant, débonnaires en diable, on aurait même partagé avec le Malin.