A green Fairy tale
Il pleuvait depuis une semaine, abondamment et chaque jour. L’isotherme zéro avait plongé jusque vers 2400m, ramenant la neige en altitude et refroidissant en même temps que la température, l’ardeur d’une partie d’entre nous. Pressentis à dix, nous n’étions finalement plus que trois montagnards à vouloir tenter notre chance, mais aussi avec un besoin de s’oxygéner, de se fondre dans la nature dans l’idée de partager quelques bons moments de convivialité et d’amitié.
Les envolées lyriques d’AC-DC interprétant Stormy May Day couvrait à peine le monotone va-et-vient des essuie-glaces qui battaient leur mesure sur le pare-brise. Et plus on s’enfonçait dans l’atmosphère brumeuse, plus il semblait que la rage de découverte sauvage, qui nous habitait encore vingt-quatre heures plus tôt, disparaissait de notre fragile habitacle ambulant. En conséquence dès le Col du Simplon atteint, notre première action fut de nous précipiter au café le plus proche pour réchauffer un rien nos ardeurs, malheureusement sans trop d’effet sur les précipitations. Quoique ! Harnachés comme des marins bretons en campagne de pêche en Islande, les trois compères quittent Le Havre et affrontent vagues et crachin. Cependant quelques encablures plus loin, les gouttes s’affinent, s’espacent et disparaissent. La brume aussi se déchire, monte et s’effile, créant des ouvertures vers les parois, des volutes vers le ciel, des trouées bleues, pour mieux les masquer l’instant d’après, dans une dance infernale, humide et infiniment rejouée. Le cheminement, assez quelconque tout d’abord, devient franchement charmant alors que les constructions et le tracé de la route du col ont disparus derrière les monticules, laissant place aux buissons de rhododendrons qui bordent le sentier du bisse. Puis la trace quitte le plat du petit canal et monte vers les derniers gazons moussus et fleuris qui bordent le lit du ruisseau. Et là, cadeau ! A trente mètres, paisibles et indifférents à notre progression malhabile et lente, trois bouquetins paissent tranquillement dans ce décor délicat et sauvage.
Plus loin, le torrent franchi par les ponts en demi-troncs, l’environnement n’est que longues dalles rouges de rouille ou de lames de schiste anthracite, effrités qui disputent la pente à une moraine raide. Le temps d’atteindre le haut qu’un voile de brume masque la cabane, à peine dévoilée au-delà du cirque neigeux. Le petit lac en-dessous est encore entièrement gelé. A droite de la bâtisse de pierres, à quelques mètres à peine, la ligne rocailleuse qui fait frontière avec le ciel marque aussi la frontière géographique. Un pas de plus et on dérocherait en Italie, vers l’Alpe Veglia.
La cabane Monte Leone est un ancien refuge militaire que les montagnards passionnés du Club Alpin du Locle ont transformé avec passion et compétence. L’abri est confortable et chaleureux. Le climat du moment, qui fait mentir toutes les prévisions alarmistes de réchauffement planétaire des écologistes pessimistes, a aussi fait renoncer nombre randonneurs, nous laissant un vaste espace libre pour une trop courte nuit. Heureux de notre entêtement à les visiter, nos hôtes neuchâtelois partagent anecdotes et spécialités, en particuliers, celle maintenant légale du Val de Travers, la fatale Fée verte et sa dangereuse teneur en thuyone. L’absinthe rend-elle fou ou génial ? Parmi les artistes reconnus, buveurs invétérés exaltés, Vincent Van Gogh s’est sectionné le lobe de l’oreille après avoir menacé Paul Gauguin et Paul Verlaine tira deux coups de revolver sur Arthur Rimbaud, d’où la question irrévérencieuse : « Pour Léon Trotski, l’absinthe et le Club Montagnard étaient-ils en cause ? »
Dans le tout petit matin froid et blafard, le ciel sans étoile en est encore à la blancheur troublée d’absinthe. Cependant, il ne pleut pas, ce qui entraîne la diane pour ceux qui attendaient le verdict météorologique du jour chaudement enfouis à l’abri dans leur duvet. Après de chaleureux aurevoirs, nous reprenons à la descente le chemin de la veille, jusqu’à mi-pente, avec l’intention de contourner l’arrête Ouest et de rejoindre le glacier par le Breithornpass. C’est cependant compter sans l’adversité, une ridicule encouble dans le pierrier, causant une légère entorse, qui va modifier notre programme. Fini l’ascension, cap la vallée dans les ambiances retrouvées de la veille des voiles opaque et troubles dansant dans l’éther bleutée.
Oh Fée, oh ma Fée, ensemble faisons contre mauvaise fortune bon cœur.
Oh, fais-les-moi connaître,
Ces alcools d’or, qui nous grisent le coeur,
Et coulent dans nos veines,
Et verse-m’en à boire,
Encore et puis encore,
Voilà que je m’enivre,
Je suis ton bateau ivre,
Avec toi, je dérive,
On a but de l’absinthe,
Comme on boirait de l’eau,
Et je t’aime, je t’aime,
Oh mon dieu, que c’est beau,
Bien plus beau qu’un poème,
De Verlaine ou de Rimbaud…
Extrait « L’absinthe » de Barbara, 1972
Barbara
L’Absinthe
Ils buvaient de l’absinthe,
Comme on boirait de l’eau,
L’un s’appelait Verlaine,
L’autre, c’était Rimbaud,
Pour faire des poêmes,
On ne boit pas de l’eau,
Toi, tu n’es pas Verlaine,
Toi, tu n’est pas Rimbaud,
Mais quand tu dis « je t’aime »,
Oh mon dieu, que c’est beau,
Bien plus beau qu’un poème,
De Verlaine ou de Rimbaud,
Pourtant que j’aime entendre,
Encore et puis encore,
La chanson des amours,
Quand il pleut sur la ville,
La chanson des amours,
Quand il pleut dans mon coeur,
Et qu’on a l’âme grise,
Et que les violons pleurent,
Pourtant, je veux l’entendre,
Encore et puis encore,
Tu sais qu’elle m’enivre,
La chanson de ceux-là,
Qui s’aiment et qui en meurent,
Et si j’ai l’âme grise,
Tu sécheras mes pleurs,
Ils buvaient de l’absinthe,
Comme l’on boit de l’eau,
Mais l’un, c’était Verlaine,
L’autre, c’était Rimbaud,
Pour faire des poèmes,
On ne boit pas de l’eau,
Aujourd’hui, les « je t’aime »,
S’écrivent en deux mots,
Finis, les longs poèmes,
La musique des mots,
Dont se grisait Verlaine,
Dont se saoulait Rimbaud,
Car je voudrais connaître,
Ces alcools dorés, qui leur grisaient le coeur,
Et qui saoulaient leur peine,
Oh, fais-les-moi connaître,
Ces alcools d’or, qui nous grisent le coeur,
Et coulent dans nos veines,
Et verse-m’en à boire,
Encore et puis encore,
Voilà que je m’enivre,
Je suis ton bateau ivre,
Avec toi, je dérive,
Et j’aime et j’en meurs,
Les vapeurs de l’absinthe,
M’embrulent,
Je vois des fleurs qui grimpent,
Au velours des rideaux,
Quelle est donc cette plainte,
Lourde comme un sanglot,
Ce sont eux qui reviennent,
Encore et puis encore,
Au vent glacé d’hiver,
Entends-les qui se trainent,
Les pendus de Verlaine,
Les noyés de Rimbaud,
Que la mort a figés,
Aux eaux noires de la Seine,
J’ai mal de les entendre,
Encore et puis encore,
Oh, que ce bateau ivre,
Nous mène à la dérive,
Qu’il sombre au fond des eaux,
Et qu’avec toi, je meurs,
On a but de l’absinthe,
Comme on boirait de l’eau,
Et je t’aime, je t’aime,
Oh mon dieu, que c’est beau,
Bien plus beau qu’un poème,
De Verlaine ou de Rimbaud…
Paroles et traduction de «Stormy May Day | |
The storm is raging Winds are howling The water’s calling, rescue youA flash of lightning At times a’ frightnin’ A wind is coming And the sun don’t shine Rain day Rain day The sky is darkening Rain day Rain day Rain day
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La tempête fait rage Les vents hurlent L’eau appelle, sauve toi
Un flash de lumière
Jour de pluie Le ciel s’assombrit Jour de pluie Rain day Rain day |
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