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La Pointe de Zinal est une jolie dent cariée, noire à son extrémité, posée sur un  large cône de neige, qu’on aperçoit au débouché du Val d’Anniviers au sortir de Vissoie. Bien centrée dans la Vallée qu’elle ferme, elle est reliée au N-O par l’arrête des Quatre Ânes de la Dent Blanche et au N par le Mont Durand. A Zinal, l’ambiance est bien morne ce matin-là. La plupart des restaurants semblent s’être mis en « hibernation » pré-estivale et seuls quelques rares touristes belges sur le départ s’affairent à charger leurs véhicules. Sans les mouvements de quelques alpinistes préparant leur matériel pour monter vers Tracuit, Arpitetta ou Mountet, le village aurait presque des airs de ville fantôme. Le ciel  bouché et la lumière blafarde et uniforme font penser que la météo de demain sera à nouveau le résultat d’un jeté de dés céleste.

Le long replat à la sortie de Zinal est heureusement  encore suffisamment enneigé, permettant une progression sans portage. Latéralement, les cônes de déjection qui reçoivent les vidanges des pentes du Pigne de la Lé sont chargés des matières  dévalées récemment, qui créent comme une écharpe blanc sale autour du petit terrain de sport abandonné. On imagine un instant l’endroit occupé, les solides athlètes en rouge et blanc du FC Sion supportant leur patron Christian Constantin dans un affrontement homérique contre les corps noirs massifs des puissantes bêtes locales. Meuuhh ! Plus loin aussi, en passant sous le Petit Mountet, deux couloirs se sont déchargés, laissant les pentes dominantes plutôt dégagées. Seule la courte moraine avant le glacier déverse continuellement son lot de gravâts et de pierres, qui nous tiennent prudemment éloignés des zones d’impacts. De Moby Dick, on ne distingue que l’immense gueule béante, ses lèvres bleuies par le froid glacial qu’exhalent ses entrailles profondes. On se tient à distance et passons d’un rapide mouvement habile, de son flanc sur son arrête dorsale. A partir de là, par quelques courts ressauts, on atteint progressivement l’embranchement du glacier. A notre gauche, sur la raide pente du tracé d’été, une large plaque de neige s’est détachée et a glissé, sans conséquence fâcheuse pour les skieurs proches. Notre tracé reste sur le glacier de Zinal, longe les rochers avant de s’incurver sur la gauche pour franchir la haute moraine. Alors, la cabane est là, à quelques dizaines de mètres.

On accède à la Pointe de Zinal par le col Durand. De-là, la vue est sublime. On est au milieu des grands 4000 du Valais, qui sont proches à pouvoir les toucher. Si d’une fenêtre de Zermatt, l’observateur voit le Cervin comme dans le cadre d’un tableau, pour notre part, nous avons d’abord dû monter sur le rebord de la fenêtre pour l’apercevoir. Quelle étrange impression quand commence à émerger, au-dessus-de la ligne blanche du col, comme un bloc rocheux dans le ciel bleu. A chaque pas, il s’élargit et s’élève, jusqu’à occuper tout l’espace comme un mur, et tout notre regard aussi. Du col, on franchit un dôme et son arrête raide et étroite, obligeant à porter nos skis, et au-delà encore, jusqu’à buter sur les premiers amas de rochers. De-là, par un délicat équilibre sur les pierres branlantes, ou quelques dalles sur lesquelles on gratonne en crampons, ou encore des plaques de neige dure, on s’élève lentement jusqu’à atteindre le Nirvana.

Plus tard, la descente a été fabuleuse sous le soleil radieux. Du col jusqu’à l’intersection des hauts glaciers, la neige était poudreuse et portante ; un délice de ski dans un décor de film. Plus bas, dans la zone centrale du glacier formée de longs vallonnements doux, sous le soleil brûlant, on traçait des grandes courbes douces dans une neige de printemps souple, glissant d’une bosse à l’autre avec fluidité et sans effort. Juste du bonheur à l’état pur.

Ensuite, passé la caverne de glace qui marque la naissance du glacier, les conditions changent d’un mètre à l’autre. La neige s’amollit, se creuse et colle alors que la pente s’affaiblit brutalement en atteignant le lit de la rivière qui forme un court plateau caillouteux. La haute moraine qui borde à cet endroit la vallée s’effrite, s’érode en permanence, libère du gravier, des cailloux et de temps à autre d’énormes blocs gros comme des pianos à queue. Il vaut donc mieux ne pas s’y attarder et surveiller les pentes en permanence.

Passé le Petit Mountet, on glisse rapidement sur le chemin enneigé, franchit les deux coulées tourmentées et rejoint le long plat. Malgré la neige ramollie et mouillée, dans une chorégraphie élégante et efficace, on patinait, on patinait.

C’était un échassier bizarre,
Il ne sort pas de ma mémoir
Sur une jambe et jusqu’au soir
Il glissait là sur son miroir
Il patinait, il patinait;
Sur une jambe il patinait

(Extrait Le Patineur de Julien Clerc)