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Une bonne pioche

Les conditions météo de ces dernières semaines, et tout particulièrement de ces dix derniers jours, ont considérablement modifié les opportunités de courses à skis. Les hautes températures, associées aux fortes précipitations, ont transformé le manteau neigeux en accélérant la fonte. Des coulées de fond ont vidé les pentes, laissant des amas de neige sale et compacte au bas des pentes et de vilaines traînées boueuses derrière elles. Là où la neige est restée, la couche s’est ramollie et s’est pourrie en profondeur. Ce n’est qu’au niveau des glaciers, au-dessus de 2500 mètres d’altitude, que la limite pluie/neige s’est établie, rechargeant les pentes et les couloirs. Le tracé d’ascension du Grand Combin par Valsorey emprunte deux couloirs raides. Le premier, directement au-dessus de la cabane, menant au col du Meitin et qui rejoint le glacier de Corbassière, puis le second, plus loin au-dessus du Plateau du déjeuner, sur le flanc Nord-Ouest du Combin entre 3700 et 4000 mètres. La recommandation de la gardienne de Valsorey était d’attendre quelques jours que la stabilisation de la couche de neige fraiche, très importante à cette altitude, se fasse.

De guerre lasse, il fallut donc trouver une alternative pour terminer la saison autrement qu’en allant faire un tour de manège ou à traîner son spleen dans l’attente de la fonte des derniers névés, dans le labyrinthe des crocus et des taches de neige des hauts d’Hérémence ou de Pralong. Le souvenir d’un échange en cabane avec des alpinistes suisses alémaniques évoquant du beau ski tardif, nous a conduits au fond de l’Oberland bernois, à un jet de flèches de nos origines nationales, là où on tire plutôt sur les pommes que sur le chapeau bailli. Ja s’Oberland, ja s’Oberland, s’Berner Oberland is schöen, ö, öen, Ja s’Oberland, ja s’Oberland, s’Berner Oberland is schöen!

La route partant vers le Nord et le plateau suisse n’a pas manqué de nous interloquer; passé Fribourg et le pont des Zähringen, si loin de la double crème et du vacherin, on avait clairement l’impression de faire fausse route. Ce n’est qu’après avoir pris peur en voyant l’ours et viré au Sud pour faire face à une monumentale barrière de sommets qui ferment l’horizon, que l’on a retrouvé notre sérénité montagnarde coutumière. Dès Thun, la route longe les magnifiques petits lacs, enchâssés entre les hautes parois, bordés de villages de chalets et de petits ports, créant une atmosphère de balade bucolique. C’est vraiment très mignon. Plus loin cependant, les parois se redressent et se rapprochent encore, la route se fait alors sinueuse, conquérante, et grimpe vers le ciel, jusqu’à atteindre une barrière rouge et blanche abaissée ; « Steingletscher, Terminus ; alli Lüt raus bitte ». Il est des ordres qui ne se discutent pas.

La limite de la neige est là. Sous le ciel gris et bouché, la rivière Steinwasser a déjà pris son allure estivale, large et tumultueuse, excluant tout franchissement en dehors du pont. De là, on retrouve nos habitudes, parcourant une neige molle mais portant plutôt bien. Le cheminement est compliqué, la vision moyenne masquée en permanence, ne laisse voir que la cabane perchée sur son gigantesque ressaut, mille mètres au-dessus de nos têtes. Droit devant, deux gros mamelons bien ronds, le Chüöbärgli et le Bockberg masquent complétement la vue et empêchent toute lecture du relief. Heureusement, la trace est nette et nous conduit, par le flanc Est de ces deux monts, jusqu’au pied d’une magnifique chute de séracs qui semble tomber directement du Sustenhorn et ferme la vallée. Elle n’est en fait qu’une des chutes de glaces du tortueux Steingletscher. Passé le ressaut facile sur notre droite, on débouche alors sur un large replat du glacier, au bout duquel apparaît la crête sommitale du Tierbergli et la cabane.

Le matin suivant, le soleil pointe déjà au-dessus des crêtes du Susten et des Alpes uranaises alors que nous prenons notre petit-déjeuner. La nuit dernière, la bise a balayé le ciel et fait chuter la température, créant une surface dure que recouvre un peu de grésil, qui s’accumule dans les creux au gré du vent. Notre progression sera facile et plutôt rapide pour franchir le premier ressaut qui conduit à un plateau supérieur que bordent le Gwächtenhorn à l’Ouest de notre trace, le Vorderes Sustenlimihorn au Sud et, droit devant nous, le Sustenhorn à l’Est. Au débouché du ressaut, une bise marquée et glaciale nous accueille, nous forçant à revêtir nos vestes. Le plateau se franchit rapidement, puis la pente se redresse progressivement, jusqu’à nous forcer à mettre les couteaux. La bise s’accentue encore, levant vers nous la neige fine et glaçant nos visages ; il nous faut enfiler les grosses moufles et remonter nos capuches. La pente raide et régulière et la neige dure permettent une progression constante et rapide, si ce n’est une attention accrue lors des conversions, et bien avant dix heures nous atteignons le sommet. Il est marqué d’une croix de bois dentelée de concrétions neigeuses et délimité de magnifiques corniches bordant la crête, nous tenant tous attentifs et à distance respectable. Chacun s’arqueboute sous le vent et se débrouille pour se rééquiper sans perdre de temps, ni de matériel et fuir l’endroit rendu peu accueillant par le violent courant d’altitude.

A peine quelques dizaine de mètres plus bas, vent et froid sont moindres. Dans le bord Ouest de la pente, sous le vent, la fine neige soufflée s’est accumulée dans les zones plus calmes en de longues et larges bandes poudreuses, douces et rapides. Whouaou ! Y faut des cuisses, mais c’est terriblement jouissif. On enchaîne courts et larges virages en douceur, les carres mordant la neige dure au-dessous de la crème qui gicle à chaque virage comme sous la planche d’un skieur nautique. Plus loin, le plateau se laisse « schusser » lentement, avant le plongeon au niveau inférieur. Là, la bise a complètement disparu. Un soleil d’enfer irradie depuis le matin tôt de son décor bleu d’azur et la neige dure du matin est maintenant juste ramollie. La faible pente du plateau nous entraîne alors dans une chorégraphie spontanée, faite de larges virages doux, comme une sorte de Lac des Cygnes sans tutus ni volaille, mais élégante et plaisante néanmoins.

Et puis, rebelote, on retrouve, à notre droite cette fois, la formidable chute de séracs, puis un dernier replat sous le Bockberg. Après une courte traversée à flanc sous le Chüöbärgli, la neige se ramollit encore un peu, mais porte encore bien. Une dernière petite combe mène aux méandres du torrent dans la neige, puis directement sur la terrasse ensoleillée de la Steingletscher Stübli. Mit s’grossi Panaché-Bier, Proscht t’zamme !