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Arolla, ce samedi matin-là, présente une atmosphère fébrile de camp de base himalayen. Dans le petit parking au bas de la piste, de nombreux alpinistes s’activent à boucler leurs sacs, laissant penser que nous serons nombreux sur notre itinéraire du weekend. Cependant, passé ce point fortement animé, l’espace se libère et seuls quelques rares véhicules sont stationnés plus loin à côté de l’usine électrique qui marque la fin de la route.  La plupart des randonneurs ont apparemment choisi une autre destination, nous laissant le plaisir égoïste d’un terrain plus exclusif et moins encombré.

Le fond de la vallée d’Arolla présente une configuration assez particulière, large et plate, avec peu de relief. Il finit par buter brusquement contre l’immense masse du Mont Collon qui domine les têtes de deux mille mètres, qui, avec sa large forme tronquée caractéristique, ferme complètement l’horizon sans laisser distinguer un quelconque passage. Le seul endroit qui parait à peine moins infranchissable est encombré par une cascade de glace bleue et brillante, qui laisse peu d’espoir. C’est n’est que lorsque l’on s’en approche suffisamment, jusqu’à en effleurer les cônes de déjection des couloirs, que se découvre une combe étroite et raide, sur la gauche. En quelques conversions, on rejoint alors la jonction glacière du haut glacier d’Arolla, qui cerne le Mont Collon sous la barrière noire des Bouquetins. Une traversée sur la gauche dans un flanc raide nous permet de rejoindre le replat de Plan Bertol, où seul le faîte du toit marque dans la neige la présence de la petite bergerie. Le vallon, bordé de hautes parois dentelées, guide naturellement notre regard vers le haut, où l’on découvre la cabane, perchée sur un rocher au-dessus du col, comme un nid d’aigle. Bien qu’elle paraisse assez proche, il y a long de la coupe aux lèvres. La pente qui reste à parcourir se redresse progressivement, et de plus en plus, jusqu’à finalement rejoindre la frange rocheuse qui marque le col. Là, une longue échelle fragmentée court le long du rocher vertical. Elle mène à une plateforme de caillebotis, qui renforce encore l’atmosphère vertigineuse de l’endroit. Arrimé au câble de sécurité, chacun de nos gestes se fait précis et économe, mesuré aussi, malgré notre désir de rejoindre rapidement le confort hospitalier de la cabane. A notre droite, à nos pieds, on découvre jusqu’à perte de vue le glacier du Mont Miné et derrière, l’imposante masse de la Dent blanche sur fond bleu d’azur. Plus à droite, émergeant partiellement des nuages, une petite pointe acérée signale le Cervin alors que le lointain est nappé dans la nébulosité du foehn bavant par-dessus la crête Sud. Dans le froid vif aérien, pousser la porte de la cabane suffit à amener une bouffée de chaleur thermique et humaine bienvenue.

Au nord de l’arc alpin, le foehn souffle du Sud. Le flux d’air s’est chargé d’humidité lors de son passage sur la mer Méditerranée. Par forçage mécanique, l’air humide s’élève en franchissant les Alpes et se refroidit avec la température. Si la masse d’air est stable, un flux d’air descendant se met en place de l’autre côté des crêtes et empêche la formation de nuages, formant un mur de foehn au niveau des crêtes (source Wikipedia). Aussi, le matin, le ciel est partiellement voilé aux alentours du refuge, avec la vision encourageante d’un ciel bleu au Nord, mais celle plus retenue d’un relief noyé dans des volutes nuageuses mouvantes sur la crête Sud. C’est une partie de roulette qui se joue là, à laquelle on gagne au mieux une belle traversée sous les espaces bleus entre les nuages et au pire, une navigation à la carte et au GPS dans les bourrasques de neige. Aussi, comme il est dit que celui  qui ne tente rien n’a rien, malgré la forte probabilité d’une visibilité problématique, on choisit de se lancer sur la trace vers Tête blanche. A ce moment de la journée, on en est à la pleine gonflée (allusion à La Gonflée de Jean-Villars Gilles). La trace de nos prédécesseurs est bien visible. L’air est certes vif, mais le vent est absent. Plus loin, sous les Dents de Bertol qui bordent notre trace à main droite, le vent s’est levé et on plonge dans la brume. On a tiré nos capuches jusque sur les yeux, qui restent attentivement braqués sur la trace à peine effacée. A ce moment de la journée, on est à la demi-gonflée. Le vent forcit, la neige soufflée vient combler les restes de traces à peine visible quelques mètres devant nous. La luminosité s’est diffractée, gommant les faibles contrastes, rendant tout uniformément blanc, partout, devant comme derrière. On progresse, mais dans les esprits d’autres images nous gagnent aussi alors que nous arrivons au niveau du col des Bouquetins dans la purée et la tourmente. Il va falloir effectuer un tracé en « S » dans la bosse de Tête blanche, sans repère autre que nos accessoires de navigation. Ensuite, ce sera la plongée au col d’Hérens, puis le contournement du Stockji pour rejoindre le glacier de Zmutt. C’est là un cheminement compliqué entre barres et séracs, sans la vision superbe sur les Cervin, Dent blanche et Dent d’Hérens, amenant dans ces conditions plus de soucis que de plaisir. La nécessité d’un retour sur nos pas, aussi raisonnable que peu glorieux, s’impose alors à chacun. A ce moment de la journée, c’est vraiment la pleine dégonflée.

Ciel bleu et soleil sont à nouveau bien présents alors que l’on rejoint le col de Bertol. On apprendra ultérieurement que ceux, partis bien avant nous et qui ont changé leur plan, ont plongé sous la Dent blanche vers Ferpècle, bénéficiant ainsi d’un ciel encore dégagé et d’une belle neige. Pour nous, si la nébulosité reste alors encore coincée derrière le Mont Collon et le Pigne, la lumière ambiante gomme déjà le relief, rendant la descente plus retenue et les enchainements plus saccadés. La trace bien lissée des fondeurs dans la longue pente du fond de la vallée nous permettra néanmoins de glisser en douceur jusqu’à la voiture.