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Depuis plusieurs jours, un vent fort glacial soufflait sur le bassin lémanique et il neigeait presque sans interruption, jusqu’au bord du lac. Les bourrasques soudaines soulevaient des nuages glacés qui semblaient envelopper d’une écharpe blanche tourbillonnante les rares passants pressés. A l’angle des bâtiments et dans les endroits abrités la neige formaient des espèces de dunes qui encombraient les passages et que les machines de déblayement ne parvenaient guère à évacuer. A Caux, un bon demi-mètre de neige recouvrait le sol gelé et au niveau des Rochers de Naye ce devait être bien plus. L’atmosphère n’était pas sans rappeler l’ambiance angoissante et blême des tragédies montagnardes de Charles-Ferdinand Ramuz. Néanmoins, la lumière se faisait déjà plus vive que les jours précédents et, momentanément, de brèves ouvertures bleues apparaissaient entre les nuages, laissant penser que le soleil pourrait malgré tout revenir bientôt.

Dans la quiétude du Chalet de Billens, guettant à travers la fenêtre embuée l’arrivée prochaine d’une éclaircie, quelques amis montagnards s’apprêtaient à partir en randonnée tout réjouis par la belle couche accumulée et compactée par le vent. Réchauffés par le rayonnement du feu qui crépitait depuis de longues heures dans la vieille cheminée, et sans doute aussi par le soleil gouleyant qui s’écoulait des verres, nos gars se sentaient d’attaque, impatients, prêts à affronter le blizzard pendant des jours sur le glacier du Gosainthan à la recherche de l’avion de Tchang. Aussi, dès que le vent se calma un peu à l’apparition des premiers rayons, ils jaillirent du chalet comme des diablotins hors d’une boîte de Pandore et s’élancèrent à l’assaut de la pente raide. Trente secondes plus tard, ils disparaissaient dans un tourbillonnement gigantesque alors que des volutes blanches étincelantes emplissaient l’atmosphère dans un grondement sourd. Vers le haut de la pente, une large plaque de neige se lézardait, s’écaillait et s’écoulait vers le bas, emportant et ensevelissant nos malheureux amis. En ce moment, Montreux vivait sa première tragédie d’envergure depuis l’assassinat de l’impératrice Sissi en 1898: une avalanche au vallon d’Orgevaux.

Qu’on se rassure, ce qui précède n’est que pure fiction et ne constitue que la trame d’un de nos exercices habituels de la mi-janvier, destinés à nous aider à reconnaître certaines caractéristiques critiques de risques d’avalanche et à nous mettre en situation de recherche de victimes. Dans notre cas, les victimes n’étaient que fictives et les compagnons de randonnée s’avérèrent d’excellents sauveteurs, si bien que « tout est bien qui finit bien », et dans la bonne humeur, et autour d’une bonne bouteille qui, à bien y réfléchir, plutôt qu’unique fut vraisemblablement plurielle !

L’important pour nous tous est de bien saisir l’importance de ne pas être pris au piège d’une avalanche, de savoir rester critiques même quand l’enthousiasme et le plaisir nous dominent et d’oser écouter nos propres ressentis. Acquérir et répéter les quelques notions qui peuvent nous tenir éloignés des pentes raides ou tendue quand le danger est présent est absolument essentiel et peut s’avérer vital. Dans le terrain ensuite, voir les déchirures du manteau neigeux, observer les petites coulées, reconnaître l’érosion du vent, évaluer l’angle de la pente et, au besoin, pouvoir agir vite, sans précipitation, bien conscient que chaque minute compte. Gardons à l’esprit que les premiers indices de danger sont une pente de plus de 30°, une neige non stabilisée, des accumulations de neige soufflée, des bruits de whoum.

La montée sur la crête du Folly présente une bascule sur le Baret. Cette pente, assez raide, déclenche parfois une avalanche de plaque à proximité du chalet, ou présente une large déchirure sur le terrain. Il est donc intéressant d’en mesurer l’inclinaison avec les moyens limité dont dispose le skieur. Avec deux bâtons, on peut marquer la pente et réaliser un triangle équilatéral, dont l’angle intérieur est de 60°. Sachant que la pente critique débute à 30°, en positionnant les bâtons, on obtient une verticale sur l’un d’eux. On parvient ainsi très simplement à déterminer la criticité d’une pente.

Notre randonnée au Molard ne nous aura pas confrontés à la neige profonde et légère, ni aux plaques à vent. Nos pelles et nos sondes sont donc restées bien au sec au fond des sacs. La neige s’était ramollie sous le soleil du samedi et dans les températures presque printanières du dimanche, cependant, en cherchant un peu hors des traces existantes, personne n’aura eu à bouder son plaisir, traçant inlassablement des arabesques lentes et régulières sur une surface molle et portante, jusqu’à vouloir remonter encore pour retracer une deuxième fois la dernière pente.

More is never enough.