Farinet, le Club Montagnard mène l’enquête

Né près d’Aoste à Saint-Rémy-en-Bosses, Joseph-Samuel Farinet est tout d’abord un contrebandier, qui ne s’établit en Valais qu’en 1869, fuyant la maréchaussée savoyarde. Les fausses pièces se multipliant en 1871 à Martigny, il fut arrêté avec trois complices. L’écrivain Charles-Ferdinand Ramuz établira plus tard dans son étude historique « Farinet ou la fausse monnaie » (Ed.Plaisir de Lire) que Farinet frappait uniquement des pièces de vingt centimes suisses datées de 1850 largement distribuées à la population locale en échange de nourriture et de protection. Condamné à 4 ans de réclusion, Farinet s’évade un mois plus tard et ne devait jamais plus être repris jusqu’à sa mort en 1880. Farinet devait encore inspirer Baptistin (A la recherche de Peter Pan, Ed. Lombard), qui reprit l’activité, avec des thunes cette fois, puis Bernard Madoff renouvellera l’expérience avec des « billions » (en anglais dans le texte).

Bel homme, beau parleur, offrant volontiers à boire, Farinet plaisait aux femmes et subjuguait les hommes. La population du Valais central, pauvre, méfiante envers les autorités, traumatisée par la faillite récente de la Banque cantonale, le protégeait, l’hébergeait, le prévenait de l’arrivée des gendarmes. Ses pièces, qu’on savait fausses, circulaient quand même. Le personnage était pourtant loin d’être un Robin des Bois; il est dit qu’on ne le vit jamais secourir la veuve et l’orphelin ou venir en aide à ses complices, des hommes frustes qu’il méprisait. Sa mort suscita immédiatement des rumeurs. Alors qu’il était traqué, affamé, on trouva son corps au fond d’un précipice. Les supputations se multiplièrent: chute accidentelle, suicide, balle d’un gendarme, dette de jeux au casino de Saxon ?

Le roman de Ramuz en 1932 et le film «L’or dans la montagne» en 1938, en firent un être pur, épris de liberté, fabriquant des pièces meilleures que celles du gouvernement. En 1980, le chef du Département valaisan de la justice le traite de « troubadour de la liberté » alors qu’un ecclésiastique soutient qu’il est « un ange en paradis ». Farinet était lui-même plus lucide: « Je sais que je suis un homme perdu ».

Fouiller l’abondante documentation ne saurait cependant nous satisfaire, il faut aussi rechercher les preuves, que le temps s’est chargé de disperser, que les intempéries, l’érosion et les complices ont dissimulées.

Un peu de bon sens, un rien de ténacité et une bonne dose de sang froid suffisent cependant à retrouver les traces du disparu. Ainsi, à l’Est de Saillon, en suivant le petit sentier qui longe la rive gauche de la Salentse, qui pénètre dans les très belles gorges, on se trouve là même où Farinet s’est caché. Il était habile et agile le bougre. Après une courte marche dans le sous-bois, déjà raide et glissante au-dessus des flots tumultueux du torrent, on rejoint la roche de la paroi de la gorge et l’on retrouve un premier indice, assez évident ma foi, sous la forme d’une plaque de bronze posée là par la banque même que Farinet défiait autrefois (authentique).

Plus loin, un pont de câble, à la manière népalaise, laisse comprendre que notre bonhomme était armé d’une bonne dose de sang froid et sans doute aussi, pour franchir l’obstacle sans risque, d’un bout de corde et d’un mousqueton qu’il portait en bandoulière sur l’épaule. La belle passerelle d’une vingtaine de mètres est vertigineuse. Elle traverse la gorge de part en part. Les pieds en équilibre sur un seul câble, la tension montera à coup sûr pour celui qui est plus à l’aise au shopping en ville qu’en saut à l’élastique. Ensuite, la trace se retrouve aisément, crochets de fer, plaquettes repose-pieds et autres bouts de câbles. Pas besoin d’être Sherlock Holmes ni de sortir de l’Académie de police de Savatan.

En traversée sur le flanc de la paroi verticale, on remonte les gorges en passant à proximité de l’eau et des cascades. On franchit un deuxième pont suspendu, plus court celui-là. Le coin est très joli mais le bruit de l’eau ne permet pas d’entendre les peureux réciter leurs prières. Après quelques ressauts sans difficulté, on remonte le long d’une dernière cascade et par une pente en terre et rejoint une première sortie nommée: la sortie du vélo. Le VTT laissé là permettait de toute évidence à Farinet de semer les gendarmes du chef-lieu en plongeant dans les chemins de vignes caillouteux, pour se dissimuler à leur nez et à leur barbe dans une des nombreuses caves du village. Le temps alors de les visiter toutes …

La deuxième partie de notre recherche débute le long du bisse. On bascule dans la face verticale, vertigineusement accroché cinquante mètres au-dessus des eaux bouillonnantes et glacées, pour réaliser une traversée superbement exposée, qui nous mène, quelques émotions fortes plus loin, à l’intérieur d’un ancien tunnel du bisse, à sec à cet endroit. Il s’agit ensuite de remonter cette paroi de manière assez rectiligne, avec quelques passages plus verticaux mais jamais trop physiques. On arrive à hauteur de la passerelle et de la Colombe. Il ne reste que quelques mètres pour atteindre la sortie.

Il est peu probable que les gendarmes suivaient notre galant bandit jusque-là. La verticalité déversante de la paroi rendant impossible aux gendarmes d’épauler une arme pour tirer. Par ailleurs, le vacarme des flots empêche aussi quiconque d’entendre quoi que ce soit, serait-ce une injonction policière puissamment vociférée. Dans la sauvagerie tumultueuse de ces gorges, chacun ne peut-être là que pour soi-même.

En conséquence, Farinet n’a pas pu être tiré, ni par la manche, ni par la balle.

A noter, qu’à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance du redoutable généreux faux-monnayeur réfugié à Saillon, les amis de Farinet ont réalisé l’aménagement d’un parcours initiatique balisé de somptueux vitraux. La réalisation de vingt et un vitraux massifs a été confiée au talentueux verrier de Täsch, Theo Imboden. Ils jalonnent une promenade, du pied de la colline de Saillon jusqu’à la plus petite vigne du monde.

(Sources Valais Magazine et www.saillon.ch)

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